[LES LIVRES DES AUTRES] Elsa



Elsa : Petite, la lecture a été un échappatoire à un quotidien parfois pesant. Je lisais énormément, dévorant les livres qui couvraient les étagères de mon CDI l'un après l'autre (enfin surtout le rayon polar). C'est une habitude que j'ai perdue en même temps que j'ai arrêté d'écrire, vers 15-16 ans.
 Ensuite je suis devenue, par une succession de hasards et de chance, libraire bd en charge du rayon manga (alors que j'avais dû lire 10 bd et encore moins de mangas dans ma vie) et c'est devenu une immense passion. Pendant six ou sept ans, je n'ai donc plus lu que des bd.
Après libraire, je suis devenue chroniqueuse bd, et puis un peu malgré moi, je suis devenue moi-même scénariste bd (j'ai aussi écrit des livres pour enfants et des romans, mais ils ne sont pas publiés pour le moment). Et c'est en écrivant que j'ai ressenti le besoin de revenir à la littérature pour nourrir mon univers et mon écriture. 
Depuis je lis un peu de tout. Je note scrupuleusement tout ce que mes amis me recommandent, je suis du genre à me laisser guider par une jolie couverture. Et j'ai surtout un immense amour pour la littérature asiatique (surtout japonaise). J'ai du mal à résister à un roman de Picquier Editions quand j'en croise un. Leur catalogue regorge de merveilles.

 Pour ma sélection, j'avoue que j'ai un peu triché dans tous les sens... Parce que j'ai été incapable de n'en choisir que trois en mélangeant bd et roman, alors j'ai fait les deux. Et puis pour les romans, j'ai choisi de me concentrer sur des romans qui m'ont marquée ces dernières années.

 Côté bd :

Jolies Ténèbres de Kerascoët et Vehlmann, Dupuis 

Dans la forêt, un corps de petite fille. Et tout un petit monde adorable et inquiétant nait pendant qu'elle se décompose... 

J'ai encore gravé en moi la sensation qui m'a habitée en refermant cette bande dessinée. J'ai passé 24h en état de choc, à la limite de la nausée, et en même temps complètement éblouie. C'est une bande dessinée comme aucune autre, mignonne et gore, innocente et cruelle, comme la vie, comme la mort. Difficile d'en dire plus parce que c'est vraiment une lecture qui se vit et qui s'admire. Fabien Vehlmann a imaginé une histoire magnifique et les planches des Kerascoët sont sublimes.

 La série Barakamon de Satsuki Yoshino, Ki-oon

Handa Seishu, fils d'un calligraphe renommé, a emprunté la même voie. Mais quand un critique juge son travail insipide, Seishu craque et le frappe... Pour lui remettre les idées en ordre, son père l'envoie faire une retraite sur une toute petite île rurale, à mille lieux de l'agitation tokyoïte. Là-bas, le jeune homme va rapidement faire la connaissance de la plupart des habitants du village, surtout les enfants et adolescents qui squattaient jusque là la maison où il emménage... et n'ont pas la moindre envie de partir. 

Ce manga est un absolu bijou. J'adorais déjà Yotsuba, mais pour moi Barakamon est encore un cran au dessus. Entre réflexions sur l'art, découverte du folklore japonais et tranches de quotidien, Satsuki Yoshino livre un manga qui me fait autant pleurer d'émotions que de rire. C'est beau, absurde, incroyablement touchant. C'est vraiment une leçon pour moi de voir un auteur réussir à mettre autant d'émotions dans des petites saynètes qui semblent anodines, raconter les petits riens avec une telle subtilité.

La duologie La fille de la plage d'Inio Asano, Imho

Deux adolescents se rapprochent en secret et comblent leur solitude à coup de relations sexuelles. Malgré tout, ils restent à distance l'un de l'autre et dissimulent tant bien que mal tout le vide qui les hantent. 

Inio Asano est un auteur incroyable. Chacun de ses mangas est autant chargé de lumière que d'obscurité. Il y a quelque chose de désespéré dans tout ce qu'il écrit, et en même temps cette petite lueur d'espoir qui apporte beaucoup de douceur, et de puissance, à ses récits. La fille de la plage est son oeuvre qui m'a le plus marquée. C'est très cru (et réservé à un public averti). Il montre, ses personnages vivent leur vie sans qu'il les juge, et il nous confronte à ça, nous laisse nous débrouiller avec ça. Il raconte l'adolescence et ses douleurs intenses comme personne. La sexualité adolescente n'est pas un sujet simple à traiter sans tomber dans le glauque ou le malaise, mais lui ce n'est finalement pas ce dont il veut nous parler ici. Ses planches sont dingues. Il maitrise la mise en scène comme personne.

 Et côté roman, si certains livres ont profondément marqué l'adolescente que j'étais, j'ai choisi de me concentrer sur trois romans lus ces dernières années et qui m'ont réellement changée :

 Le restaurant de l'amour retrouvé de Ito OGAWA, Philippe Picquier

Rinco rentre un jour chez elle et son amoureux est parti en emportant tout, même les ustensiles de cuisine qu'elle achetait patiemment depuis des années pour accomplir son rêve : ouvrir un restaurant. Il ne lui reste qu'une jarre de prunes marinées, dont il ignorait l'existence. Sous le choc et accablée par la douleur, elle perd l'usage de sa voix. Sans un sou, elle rentre malgré elle chez sa mère avec qui elle entretient des relations compliquées. Petit à petit, elle va se reconstruire et monter un petit restaurant dans la ville où elle a grandi. Son idée est simple : une seule table à chaque fois, et elle composera un menu sur mesure pour les personnes qui auront réservé.

Ce roman, le premier d'Ogawa ito publié en France, est d'une immense délicatesse. A dire vrai, je crois que je préfère son deuxième, Le Ruban, mais je retiens cette émotion d'avoir découvert la plume de cette autrice si sensible. Le restaurant de l'amour retrouvé est un récit tout en douceur qui fait infiniment de bien. Je ne sais pas si on peut le qualifier de feel good, mais il est comme une caresse réconfortante. Très contemplatif, avec beaucoup d'attention portée aux détails. Je l'offre tout le temps aux gens que j'aime. 

Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? de Jeanette Winterson, L'Olivier

Longtemps après avoir transformé son enfance en roman dans Les Oranges ne sont pas les seuls fruits, l'autrice anglaise Jeanette Winterson démêle avec application le vrai du faux et raconte sa véritable enfance, difficile à bien des égards, avec une mère adoptive très pieuse et à moitié folle, cruelle.

Ce roman m'a été conseillé par un ami. Ça a été pour moi une révélation. Je considère Jeanette Winterson comme une des plus grandes autrices contemporaines. La lire, c'est comme écouter une amie brillante et bouleversante se confier. C'est un récit de vie puissant, l'histoire d'une âme belle et résistante qui trouve la lumière au milieu de l'adversité. Et sa lumière n'est autre que le rayon 'littérature anglo-saxonne de A à Z' de la bibliothèque de sa ville, dont elle va dévorer avidement chaque titre, ouvrant les portes d'un monde immense qui lui donnera la force de tout affronter. Elle raconte comme ses pensées filent, passant du coq à l'âne avec une écriture magnifique (et très bien traduite), et on se laisse porter. 



Dans la forêt de Jean Hegland, Gallmeister

Le monde s'est arrêté de tourner rond. Les réserves en énergies se sont taris, au loin une guerre fait rage, et chacun s'est accommodé de perdre des choses les unes après les autres. L'électricité, l'essence, la nourriture... On s'est débrouillé en attendant des jours meilleurs, avant de comprendre qu'ils n'étaient pas prêts d'arriver. Au milieu de cette situation, deux soeurs vivent retranchées au coeur de la forêt, dans la maison familiale. L'une est férue de danse et pratique chaque jour, même quand il n'y a plus d'électricité pour écouter de la musique, l'autre continue d'étudier sans relâche, espérant avoir le niveau requis pour entrer à l'université quand la situation s'arrangera enfin.

J'ai aimé ce roman en le lisant, même si sur le coup je n'ai pas eu l'impression de lire un chef d'oeuvre... et puis deux mois plus tard je dois bien me rendre à l'évidence, il me hante complètement. C'est un récit survivaliste concentré sur l'humain, en huis-clôt. Il faut savoir que s'il est paru à la rentrée en France, il a en fait été publié il y a une vingtaine d'années aux Etats-Unis. Je n'y avais pas prêté attention et le 'monde d'avant' décrit ne me semblait pas totalement correspondre à ma réalité avant que je ne comprenne qu'il décrivait une autre époque. 
Jean Hegland a une plume assez addictive, et raconte par le menu détail cette survie au quotidien. Se nourrir, se chauffer, se prévenir des dangers, garder espoir malgré la peur, la solitude et les douleurs. C'est aussi un récit sur la force des femmes à bien des niveaux, et ces deux héroïnes continuent véritablement de m'habiter depuis que je l'ai refermé.

Elsa Bordier est autrice (elle à d'ailleurs scénarisé la très très chouette BD La Grande Ourse !), retrouvez la sur sa page juste ici.


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Commentaires

  1. Oh Barakamon !!! J'adore aussi :D La fille de la plage a l'air chouette :D
    Merci à Elsa pour ce partage ! :3

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